mardi 20 juillet 2010

Le choeur de lumière, images de Bourbourg


Cet arbre dans la droiture du mur, de ses ombres profondes, parsème les briques disjointes ; une verticalité ensoleillée: jardin du Nord. Pierres jetées sur une argile sèche, par les portes défoncées, on entre, on vient, comme des vagabonds ; maison de SDF, de sans-abris d’un jour ou d’amoureux qui s’isolent. Dans la lourde pénombre du ciel crépusculaire qui se courbe vers les arêtes du toit encore solide, le promeneur écrase quelques herbes éparses, presque noires de nuit qui vient, ou trop bleues, comme si la mer se déversait sur cette errance des lieux de friches où personne jamais plus ne chante. Ces amas de pierres et de briques au sein de la déchirure vaste de la fenêtre éclatée sont juste éclairés faiblement, on pense à des gaillettes dans un appentis, ou des mosaïques cyanes d’Italie.
Même la maison d’en face semble sans vie. Les volets blancs sont fermés. On se calfeutre, on se cache, pas d’abandon, attention, l’étranger déambule. Papillon noir crucifié en hauteur de graffitis blancs, griffures du mur, l’arbre aux quelques branchages se hausse vers le ciel ; amoncèlement pierreux, bord de site industriel. Une chaise solitaire devant un vaste jardin où s’allongent les opacités du soir. Les fils électriques s’éloignent vers la route. Des arbres, en arrière plan, et le grillage dressé vrillent le parterre d’ombres chinoises bien agréables au regard. Quelques tâches de blancheur, soleil couchant, ou clarté lunaire, nuit de culminante lune peut-être ? Des arcs d’église pour une autre Création, de fer et de bois. Sculptures géantes, débordantes qui structurent l’espace liturgique et développent l’apothéose de la Genèse, autre Genèse, celle de ceux qui s’arrêtent enfin, regardent et voient ce qu’ils n’avaient vu : l’amplitude éternelle d’un texte qui devient images et qui parle au cœur. L’arbre de Jessé, l’arbre de l’Eden, le crocodile, l’arche de Noé deviennent ces archétypes vivifiés, de dentelles de silence et d’éclats de lumière, à toute heure du jour, du matin au soir, il y a mouvement. De rivage en image, je marche entre ces bords de vies perdues, et je retrouve les mots enfouis dans les sables, les verbes entombés dans les tumulus ; Le fer s’élève, grimpe, dépasse notre perception, comment aller vers la pensée de l’artiste ? Comment conjuguer au présent l’effervescence entrevue et pouvoir la garder intacte en moi ? De sphères célestes, géométrie spatiale qui ressemble à un jeu d’enfant, devenir enfant et regarder, de tous ses yeux, ne pouvoir tout voir et revenir. J’aime le singe là- haut, si haut perché. Et ce bateau élégant, racé, qui bientôt fendra les flots. C’est un voyage qui tourne en rond, et monte et descend, un voyage dans une nef envahie de ronces, d’animaux et d’herbes chaudes. Des colombes se blottissent sous les arcs brisés d’un chapiteau ; La croix devient étoile, cantilène et les oiseaux s’envolent. Toute cette lumière épanouie qui monte en rond dans la tour du matin, descend lentement, tour du soir. Deux mains jointes face à l’immensité du monde. Monte l’escalier, allez ! N’aie pas peur ! Grimpe, là-haut est le vertige d’être, la verticalité de l’homme. Serpent lové aux pieds nus d’Adam et d’Eve. Premier matin du monde, une heure de fraicheur dans le jardin des pommes, l’Ange retient le courroux de son épée. Couche toi dans le creux du baptisphère, centre d’un autre univers, rien ne peut plus t’atteindre, les lambeaux des autres siècles déversent sur nous la lenteur et la mémoire inscrites en toute matière façonnée. Corps noueux, pieds de vigne enracinés dans la pleine terre des coteaux, corps de chair épaisse, entière, enveloppante. La plénitude d’un enfantement qui sculptera le ventre de la femme, ils se tiennent tous deux à la lisière de la mort.
Ces herbes élancées dessinent sur le mur des poèmes végétaux. La cicatrice entre les briques va d’en haut en bas, comme une trainée de pluie. Il est si beau ce jardin, banc si calme, plein de constance, sans faille, parmi les fleurs nonchalantes, au sein de la joyeuse clarté des jonchées de lumière.
Le couvent garde pleinement le caractère immobile de l’orant au bord de la ville, le passant ne le remarque pas, indifférence ou intrigue des méandres de la cité qui n’en parle plus… Ou si peu. Les moniales peu nombreuses cultivent un jardin de simples et d’apothéoses, de bonheurs entrevus, de solstices que l’on aperçoit le dimanche.
D’étranges silhouettes s‘aventurent entre les bancs sans grains de poussière, je m’attarderai encore volontiers sur ce banc. De minces enveloppes de feuilles vertes étranglent l’espace des statues, la Vierge Marie veille dans un grenier, début de l’été, pas encore mais déjà il fait beau. Là-bas un kiosque de marionnettes, des plumes qui volètent, une patience obstinée des matins qui murmurent. Le bouquet de roses sur l’autel désert, le balai qui n’est pas en complainte, et les eaux grises des ciels. Véronique Guerrin